Publié par le Forum de Bruxelles contre les Inégalités, ce ne sont pas moins de 18 services bruxellois qui se sont réunis pour élaborer un diagnostic territorial concernant les ressources existantes sur leur territoire mais ils ont surtout effectués une recherche-action collaborative et participative.
En effet, en utilisant la méthode des « chercheurs ignorants » (2015), ils ont établis leur étude avec 3 catégories de savoirs en leurs accordants une part égale de légitimité :
- le savoir théorique
- le savoir professionnel
- le savoir expérientiel, ce dernier en concertant les personnes directement touchées par la thématiques en l’ayant vécu ou en la vivant actuellement .
Cette étude sur les jeunes Mineurs Etrangers Non Accompagnés (appelés MENA) en errance offre un croisement des regards entre des chercheurs, des professionnels de terrain et des jeunes MENA présents sur le territoire bruxellois.
Ce qu’on peut attendre en lisant cette étude ?
Découvrez le parcours de MENAS vivant à Bruxelles, de professionnels qui les accompagnent et tentent de les aider au quotidien, découvrez leurs témoignages sous l’éclairage de fondements scientifiques ou de phénomènes sociologiques clairement identifiés.
Vous découvrirez au travers de cette étude publiée sous forme d’ouvrage, que ces jeunes, portés par le rêve collectif, rêve déjà porté par des pants de générations avant eux, rêve de l’Eldorado européen arrivent souvent en Belgique après un long parcours bercé de désillusions.
Des rêves portés par les réseaux sociaux, par la société de consommation, par l’illusion laissée par les autres ayant portés ses rêves avant eux.
Découvrez comment cette illusion de mobilité, d’avenir meilleur, et cette quête d’accomplissement personnel mènent ces jeunes à la déception, au découragement et à vivre dans la précarité et dans l’errance.
Les informations clefs qui y sont traitées :
Les thématiques traitées sont nombreuses.
On retiendra particulièrement les points suivants, pour la plupart très paradoxaux :
Les pairs : un réseau dense qui se constitue rapidement autour des nouveaux arrivants. Un réseau de débrouille et d’informations qui contribue à rompre l’isolement, qui permet de trouver des « solutions » et des ressources face aux besoins rencontrés par le jeune : où trouver de l’aide et des soins de santé, où trouver un travail, où trouver un peu moins de précarité, où trouver plus de tranquillité. Un réseau qui s’étend en Belgique mais outre frontières, chaque pays étant régit par des lois différentes et ayant un fonctionnement différent. Il serait par exemple plus facile de trouver des soins médicaux au Luxembourg et à contrario plus facile de trouver un travail en Belgique, plus facile d’avoir accès à des produits sur Bruxelles.
Malgré tout, cette identité commune créée empêche la plupart du temps ces jeunes MENA de sortir de l’errance. Un réseau solidaire, parfois violent, qui contribue souvent à commettre des actes délictueux par solidarité ou via de mauvaises fréquentations.
La violence, les drogues, les conduites à risques : ce sont le quotidien de ces jeunes MENA qui vivent à Bruxelles. Rivotril, Lyrica sont des médicaments régulièrement cités comme calmants et régulièrement consommés parce que légaux. Les solvants, la colle, les drogues illégales sont également répandues et teintent le fil de cette étude. La consommation de drogues devient parfois pour eux un signe d’appartenance à un groupe. Cette consommation et les polyaddictions, seraient amplifiées par l’extrême précarité, notamment la faim, le froid, la peur, l’angoisse. En effet, certaines substances couperaient la sensation de faim et de froid.
Le Rivotril est même surnommé « mère courage ».
La santé mentale : brutalisée par des parcours de vie, par les consommations, elle demeure fragilisée pour la grande majorité d’entre eux. Au sein de tous leurs parcours, on retrouve de nombreuses désillusions, un jeune qui avait entamé une formation d’électricien et qui avait une promesse d’emploi à la clef, qui a dû s’arrêter le jour de ses 18 ans parce que cette offre était uniquement réservée aux mineurs, un autre jeune qui a perdu son travail et est tombé dans la consommation de médicaments et de produits.
La plupart de ces jeunes rencontrent des difficultés en santé mentale. Exposés chroniquement au stress, se retrouvant face à des vulnérabilités multiples, tout cela durant des périodes de fragilité et de construction de leur identité. Nombreux ont développés des troubles de l’attachement, une attitude de méfiance vis-à-vis des autres, des comportements d’automutilation, ou encore présentent des traumatismes psychiques. On repère régulièrement chez eux des stratégies de coping inadaptées en réponse à leurs souffrances et à leur mal être psychique. Ajoutons que la barrière culturelle et la stigmatisation de la santé mentale est importante, pour bon nombre d’entre eux, aller chez un psychologue équivaut à être fou. De plus, le manque de stabilité de leur situation rend le travail en profondeur des traumatismes impossible.
Les professionnels : travailleurs sociaux, travailleurs de rue, etc : essentiels pour ces jeunes en errance. « Ils créent un lien pour faire soin« , créer un espace de confiance qui est pourtant si difficile à tisser avec ces jeunes. Ils sont d’une importance vitale pour ces jeunes MENA ainsi que les services d’aide et de soins qui tentent de répondre aux besoins fondamentaux de ces derniers.
Incohérences dans les processus et les discours, difficultés de faire réseaux, âge de transition :des incohérences dans les différents processus, dans les discours de professionnels issus de secteurs différents (p.ex. discours éducateurs de rue vs police). Des difficultés dans la transition à l’âge de 18 ans : la perte de certains droits, de certaines protections, l’arrêt de certaines prises en charges, de certaines formations professionnalisantes, la perte de l’accès à certaines ressources, il s’agit parfois de tout recommencer à zéro. Alors, la fuite apparait souvent comme la solution la plus attractive.
La lasagne institutionnelle belge est également mentionnée comme facteur influençant le parcours de ces jeunes. On recommande la nécessité d’une approche intégrée et intersectorielle pour ces jeunes. Les réseaux d’aide doivent être plus importants et plus forts que les réseaux d’exploitation des jeunes mais de nombreux freins persistent notamment le partage d’informations entre les services (secrets professionnels partagés différents en fonction des cadres de travail).
Place du mensonge : le mensonge est au cœur du quotidien des MENAS, pour survivre (p.ex. mentir sur son identité), pour bénéficier d’avantages (qui comme mentionnés précédemment ne sont pas les mêmes en fonction de l’âge), mais qui ne sont également pas les mêmes ni en fonction du pays d’origine ni en fonction du pays d’accueil. Le pays d’origine aurait une incidence importante à la fois sur le parcours migratoire mais aussi sur les conditions d’accueil dans les pays. Les sentiments de stigmatisation et d’exclusion sociale sont d’autant plus renforcés.
Le mensonge également présent dans le discours envers la famille restée au pays, famille qu’il ne faut pas décevoir. Les photos envoyées à la famille sont souvent le reflet d’un idéal rêvé mais loin d’être le reflet de la réalité mais donne le plus important : l’illusion de réussite sociale est ainsi préservée.
Surreprésentation des hommes parmis les MENA : cette surreprésentation entraine des rapports de domination, un culte de la performance, les dynamiques de socialisation sont directement impactées pour des jeunes en pleine construction identitaire.
Traite des êtres humains : l’exploitation de ces jeunes MENAs est une dimension couramment observée dans leur parcours et cela même sur notre territoire.
Des paradoxes : de l’enracinement au déracinement, de la territorialisation à la déterritorialisation, une alternance entre ancrage et mobilité, une stabilité difficile à trouver, un parcours de départs répétés pour fuir des difficultés, échapper à de la répression, à de la violence, à la prison. Des jeunes qui vivent en marge de la société et qui fluctuent en fonction de leurs besoins du moment et qui peinent à trouver un sentiment d’appartenance.
Concept d’errance : les concepts sont nombreux, au travers de cette étude on entendra régulièrement parler d’errance, de jeunes « incasables », qui n’entrent plus dans les cases de la société, mais ne devrait-on pas remettre en question l’utilisation de ces concepts ?
En conclusion :
Nous ne vous spolierons pas ici la conclusion avancée dans cette étude, nous reviendrons simplement sur le fait que ces jeunes qui quittent leur pays, leur famille, ne sont que des enfants, ils n’ont parfois que tout juste 10/11 ans.
Lorsqu’on prend le temps de les écouter, ces derniers mettent en avant de nombreux regrets dans leurs parcours, de mauvais choix, la prises de mauvaises directions, et le recul leur permet de mettre en avant qu’ils ont pris des décisions lorsqu’ils étaient trop jeunes, trop vulnérables, trop immatures.
Ils restent des enfants en danger avant tout.
Vous souhaitez obtenir un exemplaire papier de cette étude ? Vous pouvez faire une demande directement auprès du Forum
Illustrations issues du site https://www.le-forum.org/news/149/7/Adolescence-en-migration